Quand le Travail fait Sens

En se rendant à Chartres, l’écrivain Charles Péguy aperçoit sur le bas-côté de la route un homme qui casse des pierres à grands coups de maillet. Les gestes de l’homme sont empreints de rage, sa mine est sombre. Intrigué, Péguy s’arrête et demande :

– « Que faites-vous, Monsieur ? »

– « Vous voyez bien, je casse des pierres » lui répond l’homme. Malheureux, le pauvre homme ajoute d’un ton amer :

– « J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et stupide ! ».

 

Un peu plus loin sur le chemin, notre voyageur aperçoit un second homme qui casse lui aussi des pierres. Mais son attitude semble un peu différente. Son visage est plus serein, et ses gestes plus harmonieux. Une nouvelle fois, Péguy descend de sa voiture pour l’interroger.

– « Que faites-vous, Monsieur ? », questionne Péguy.

– « Je suis casseur de pierre. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet de nourrir ma femme et mes enfants ». Reprenant son souffle, il esquisse un léger sourire et ajoute :

« Et puis allons bon, je suis au grand air, il y a sans doute des situations pires que la mienne ».

 

Quelques kilomètres plus loin, Péguy rencontre, à son grand étonnement, un troisième casseur de pierres. Son attitude est totalement différente. Il affiche un franc sourire et il abat sa masse, avec enthousiasme, sur le tas de pierres. Pareille ardeur est belle à voir !

– « Que faites-vous ?, Monsieur » demande Péguy.

            « Moi, répond l’homme, je bâtis une cathédrale ! ».

 

 

Donner du sens au travail : l’art de bâtir des cathédrales avec son équipe

La métaphore des tailleurs de pierre de Charles Péguy nous offre une profonde réflexion sur l’engagement au travail et le rôle crucial du manager dans la construction du sens.

Trois niveaux d’engagement

 

Le premier tailleur évolue dans un état de désengagement manifeste. Il exécute sa tâche de manière purement mécanique, la percevant comme une activité répétitive où il se sent parfaitement interchangeable. Sans vision d’ensemble ni compréhension de sa contribution, il s’enlise dans l’aliénation professionnelle

 

Le deuxième tailleur atteint un niveau d’engagement pragmatique. Il trouve dans son travail des bénéfices extrinsèques : la sécurité économique pour sa famille, l’environnement de travail acceptable. Sa motivation reste instrumentale, mais il parvient à maintenir un équilibre psychologique face à sa tâche

 

Le troisième tailleur incarne l’engagement profond. Animé par une vision transcendante, il perçoit sa contribution à une œuvre collective qui le dépasse. Cette conscience d’appartenir à un projet significatif transforme radicalement son expérience quotidienne, générant motivation intrinsèque, épanouissement et fierté professionnelle.

 

Le défi managérial de l’absence de sens

 

Quel manager n’a pas observé chez ses collaborateurs cette lassitude profonde, ce sentiment d’inutilité face à des tâches dont ils ne perçoivent ni la finalité ni la valeur ? Ce phénomène touche particulièrement :

 

  • Les activités s’inscrivant dans des processus complexes et fragmentés, où le lien entre l’action individuelle et le résultat final devient imperceptible.
  • Les fonctions dont l’importance stratégique n’est pas communiquée, alors que les contributions les plus modestes sont souvent déterminantes dans la réussite globale de l’organisation.

Cultiver le sens et l’engagement : une responsabilité managériale

 

Cette perte de sens est fréquemment corrélée à un déficit de communication sur la vision d’ensemble. Le manager contemporain doit incarner cette capacité à contextualiser chaque contribution individuelle dans la perspective du projet collectif.

 

À l’instar du troisième tailleur de pierres qui « bâtit une cathédrale », vos collaborateurs peuvent s’investir pleinement lorsqu’ils perçoivent leur rôle dans l’édifice global. Cette compréhension transforme leur rapport au travail, stimulant un engagement authentique où chacun s’approprie légitimement une part du mérite collectif.

 

Le véritable leadership consiste ainsi à faire émerger ce troisième niveau d’engagement, où la tâche quotidienne s’inscrit dans une narration plus vaste qui mobilise les énergies et nourrit la motivation intrinsèque de vos équipes.

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